No. 66/1    mars 2013

 

Racines & modernité

L'Australie

par Vincent Arlettaz

Sydney

L'opéra de Sydney, à gauche, est le chef-d'oeuvre de l'architecte danois Jørn Utzon. A droite, le 'Harbour Bridge'.

 

Le ciel de l'Hémisphère Sud est très différent du nôtre: les constellations n'y sont pas les mêmes; le pôle n'y est marqué par aucune étoile -- la fameuse «Croix du Sud» n'en étant en fait pas vraiment proche. Surtout, par les belles nuits d'été, au coeur du bush sans lumières artificielles, votre regard plonge vers l'intérieur de la Voie Lactée, vers son noyau central -- alors que, vue d'Europe, ce sont ses faubourgs qui nous apparaissent essentiellement. Le résultat est saisissant, prodigieux même: les quelque 200 milliards d'étoiles que compte notre galaxie y sont groupées de manière beaucoup plus dense; à l'oeil nu, elles se présentent comme une sorte de brume diffuse; vu aux jumelles, ce nuage se résout en une myriade de points brillants extrêmement petits, extrêmement serrés, extrêmement nombreux. Chacun d'entre eux est un soleil, plus ou moins comparable au nôtre; chaque point lumineux est un autre monde, avec, sans doute, ses planètes, ses comètes, ses lunes. Le vertige pourra alors s'emparer de vous. L'émotion aussi. C'est ce ciel que les Aborigènes, premiers habitants du continent, ont contemplé lorsqu'ils sont arrivés ici. La date? Elle aussi donne le vertige. Les plus anciens vestiges datables de manière irréfutable parlent de 40'000 ans, mais il est probable que leur présence remonte bien au-delà: les estimations varient entre 50'000 et... plus de 100'000 ans! Originaires d'Afrique, venues sans doute à pied depuis l'Indonésie, puis coupées du reste du monde par la remontée du niveau des océans, ces populations isolées ont perpétué leur mode de vie ancestral avec d'autant plus de fidélité que leurs croyances religieuses affirmaient la nécessité de maintenir les traditions des Anciens, au risque de voir se tarir la source magique de la fécondité de la nature. On peut donc supposer que l'évolution de la culture aborigène a été extrêmement lente; en d'autres termes, l'Australie découverte par le lieutenant anglais James Cook en 1770 n'était rien d'autre qu'un livre ouvert sur la Préhistoire! Fascinante plongée dans le temps, que les colons de ce temps n'ont hélas pas été en mesure de comprendre. Chassées de leurs terres, décimées par la variole et l'alcoolisme, ces tribus de chasseurs-cueilleurs nomades vivant à l'âge de la pierre pratiquaient depuis des temps immémoriaux des formes d'art pictural dont les modèles remontent à une époque bien plus ancienne que ne le sont les fresques de Lascaux ou d'Altamira. Comment ne pas être subjugué par ce que l'on pourrait trouver dans leur musique? Nous y reviendrons bien sûr...

 

Sydney

Notre premier contact avec ce pays passe, nécessairement, par les villes. Quoi de plus éloigné des traditions préhistoriques? Sydney est aujourd'hui une ville de quatre millions et demi d'habitants, résidant pour la plupart dans des banlieues de villas qui étendent leurs tentacules à des dizaines de kilomètres à l'intérieur des terres. Le centre-ville, par contraste, paraîtra relativement petit, occupant essentiellement la rive sud d'un estuaire magnifiquement découpé et ramifié. C'est ici que se concentrent les gratte-ciel des quartiers financiers et administratifs. La meilleure vue est certainement celle que l'on peut avoir du sommet du Harbour Bridge, le fameux pont métallique construit dans les années de la Grande Dépression, et inauguré en 1932. Ici la baie s'ouvre à vos yeux, majestueuse. Du côté de l'Océan, on devine les falaises grandioses où viennent se briser les vagues du Pacifique. A vos pieds, le sublime estuaire dont les eaux d'un bleu intense sont sillonnées de voiliers, de ferries vert et jaune, de hors-bord clinquants, laissant derrière eux de larges traînées blanches qui s'entremêlent. Au beau milieu de cet espace unique trône l'Opéra, véritable icône de la ville et de l'Australie moderne. C'est ici bien sûr que commence notre périple musical. Ce soir, nous y entendrons l'Orchestres Symphonique de Sydney, jouer sous la baguette du maestro Vladimir Ashkenazy un programme résolument aquatique: La Mer de Debussy, Le Cygne deTuonela de Sibelius... En attendant, visitons un peu le monument.

C'est à un chef d'origine franco-belge, Eugène Goossens (1893-1962), que l'on doit l'initiative de la création d'un opéra à Sydney. Musicien très en vue en Australie dans les années d'après-guerre, il fit oeuvre de visionnaire en portant à bout de bras ce projet novateur. En vérité, l'histoire de cet édifice est des plus tourmentées, il s'en est même fallu de peu que le projet ne soit pas achevé; au cours de cette véritable épopée, tant de conflits ont opposé les bâtisseurs, tant de personnalités ont été évincées brutalement que cette aventure architecturale et musicale donne l'impression d'un chemin semé de cadavres. Eugène Goossens d'abord, dont la carrière fut brisée soudainement, pour des raisons assez étonnantes (du matériel «érotico-occultiste» avait été trouvé dans ses bagages à l'aéroport de Sydney -- il est à noter que l'Australie de 1956 était encore une société largement dominée par la mentalité victorienne). L'architecte ensuite, le Danois Jørn Utzon (1918-2008). Son histoire, plus complexe, n'est certainement pas moins tragique: suite à la mise au concours lancée en 1955, pas moins de 230 projets avaient été soumis; parmi lesquels une trentaine écartés d'office pour diverses raisons. Les dessins d'Utzon ne durent (dit-on) qu'à un hasard assez extraordinaire d'être ressortis in extremis de ce rebut. S'écartant totalement des conventions de leur époque, ils enthousiasmèrent le jury -- et d'ailleurs leur modernité, aujourd'hui même, reste frappante, près de soixante ans plus tard! Les problèmes ne faisaient que commencer toutefois: car malgré la beauté de ses esquisses, Utzon n'apportait aucune solution concrète au problème de la réalisation pratique de son idée géniale. Ingénieurs et techniciens s'arrachèrent longtemps les cheveux sur cette question, jusqu'à ce qu'une solution apparaisse: couler des coques de béton préfabriquées, correspondant à différentes sections d'une même sphère (donc utilisant les mêmes moules); cette formule permettait de maintenir les coûts dans les limites du raisonnable. A l'intérieur de ces coques, les diverses salles (il y en aura finalement six, comptant entre 2'600 et 210 places) seront réalisées comme des structures en bois, indépendantes de l'enveloppe en béton. En avait-on fini avec les difficultés? Nullement: suivant un changement de gouvernement vers la droite, les tensions s'aggravèrent et l'architecte Utzon démissionna en 1966; retourné au Danemark où il mourut en 2008, il ne devait jamais voir achevé le bâtiment qui reste le chef-d'oeuvre de sa carrière. Les Australiens seraient-ils donc les descendants de William Shakespeare?

 

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RMSR mars 2013

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