No. 62/1    mars 2009

 

Quatre entretiens inédits de Georges Auric
avec Stéphane Audel (1955)

Transcrits, présentés et annotés par Malou Haine
Chercheur associé à l'IRPMF, professeur à l'Université Libre de Bruxelles,
Conservateur du Musée des Instruments de Musique de Bruxelles

Troisième partie

 

Quatrième entretien (suite)

Audel: Venons-en maintenant, si vous le voulez bien, cher Georges Auric, à une forme d'activité qui a pris la plus grande partie de votre temps ces dernières années. Je fais allusion à votre musique pour films. Quel est le premier film pour lequel vous avez composé une partition?

Auric: Eh bien ceci, mon cher ami -- ceci est une autre histoire, et une histoire pour moi d'ailleurs très importante! Je vous ai tout à l'heure très rapidement dit que, après ma Sonatine pour piano, j'avais composé une longue Sonate pour piano -- en effet, ça devait être en 1930. J'ai composé une sonate qui vraiment a pris pour moi de longs mois. J'ai travaillé à ses quatre mouvements pendant toute une année; j'étais à ce moment-là dans le Midi, dans des conditions de tranquillité absolue; je n'avais aucune hâte, aucun besoin de terminer vite -- ce qui d'ailleurs est un des graves inconvénients de notre travail actuellement, et combien d'oeuvres sommes-nous obligés de «livrer» -- car voilà comment nous finissons par parler! Combien de ces oeuvres seraient meilleures si nous avions le temps de les méditer un peu plus longuement! Ceci étant une grave question, sur laquelle il vaut sans doute mieux ne pas...

Audel: Il vaut mieux ne pas s'étendre!

Auric: Mais en tout cas, à cette époque heureuse, j'avais eu tout le temps de travailler, et à loisir -- et j'ai donc composé cette sonate. Eh bien, je dois avouer que cette longue méditation n'a pas eu un résultat pour moi tout à fait brillant, car c'est certainement de toutes mes oeuvres celle qui a été accueillie avec -- comment dirai-je gentiment -- le plus de froideur; le mot froideur est à peine suffisant pour essayer de traduire l'accueil qui a suivi la première exécution publique de ma sonate. J'étais, je dois vous le dire, très mélancolique de cet accueil parce que -- vous savez, je n'attache aucune importance particulière aux acclamations d'une salle, je sais que tout ceci ne veut pas souvent dire grand-chose; car une salle peut être composée d'amis et, dans ce cas-là, à quoi correspondent exactement les applaudissements que nous entendons? Au contraire, elle peut être composée d'indifférents; par conséquent, ceci n'a pas d'importance; et elle peut être aussi composée de gens hostiles, et dans ce cas-là, nous avons même cette petite réaction -- mon Dieu facile, mais qui nous console rapidement -- cette petite réaction qui consiste à dire en sortant: «Eh bien, oui, j'ai aperçu au troisième rang ce monsieur, je sais qu'il me déteste depuis très longtemps, et il a été trop content de manifester son peu d'intérêt pour mon oeuvre». Alors, tout ça, ce sont des façons d'esquiver un mauvais accueil; mais là, le problème n'était pas le même: j'étais vraiment peiné, parce que j'avais longuement travaillé à une oeuvre qui m'intéressait, qui me paraissait, dans ce que j'avais déjà écrit, indiquer une tendance un peu différente. Et mon Dieu, je n'ai aucune gêne à l'avouer aujourd'hui (il y a pas mal d'années qui sont passées depuis), je suis sorti de cette salle de concert assez triste, et je suis reparti pour le Midi en me demandant un peu ce que j'allais maintenant écrire.

Audel: Oui, c'est très décourageant évidemment une expérience pareille.

Auric: N'insistons pas là-dessus. Je dois d'ailleurs dire que j'ai eu avec cette Sonate une des meilleures consolations -- dont je ne vous parlerai plus très rapidement -- mais j'ai tout de même eu une très belle consolation: c'est que à son propos, j'ai reçu une lettre alors vraiment magnifique de Paul Dukas -- qui n'a jamais été mon Maître, qui était simplement un très grand musicien que j'avais l'honneur de connaître et qui était très très gentil pour moi; mais je vous l'ai dit, je n'ai jamais travaillé avec lui directement -- et il avait lu ma partition, il avait reçu un exemplaire de cette sonate. Et à cette occasion, il m'a envoyé une très longue lettre, que j'ai précieusement conservée et qui vraiment m'a rattrapé d'une façon superbe des critiques et des réserves que j'avais cru percevoir au moment de l'exécution de cette oeuvre. D'autre part,Alfred Cortot qui n'est pas un homme particulièrement indulgent...

Audel: Non, certes non!

Auric: ...dans son livre sur la musique de piano contemporaine, a également écrit quelques pages où il manifestait -- pour cette oeuvre un peu maudite -- où il manifestait un intérêt qui m'a également réconforté singulièrement; et je tiens à le remercier de cette sympathie qui m'a été vraiment précieuse. Mais enfin, ne parlons plus de tout ceci. Tout ce que je voulais vous dire c'est que, au lendemain de cette première exécution, je suis donc reparti pour le Midi un peu dépité et un peu inquiet; et là-dessus, j'ai été très heureux de rencontrer dans ce même Midi un de mes amis qui est un homme charmant -- et vraiment qu'on est heureux de rencontrer dans de pareils moments. Il s'agit du vicomte de Noailles, qui est un homme qui s'intéresse profondément et sincèrement à toutes sortes de formes d'art, que ce soit la peinture, la poésie ou la musique. Et il a eu l'idée -- cela se passait sans doute en 1931, et les premiers films dits à cette époque «sonores» venaient de sortir -- il a eu l'idée de me parler de cette forme nouvelle d'expression qu'était «le film dit sonore»; ceci nous paraît assez cocasse aujourd'hui...

Audel: Oui, maintenant évidemment, ça paraît...

Auric: ...et une chose disparue, mais enfin, ceci était tout à fait nouveau ou presque nouveau en 31; et le vicomte de Noailles m'a posé une question, il m'a dit, bien: «Est-ce que ça ne vous intéresserait pas, avec votre ami Jean Cocteau, de tenter d'écrire pour le cinéma un ouvrage?» Et je dois vous dire que, spontanément, je lui ai répondu: «Mais comment donc, et avec quelqu'un comme Cocteau, ça va être évidemment une aventure du plus grand intérêt». C'est dans ces conditions que nous avons écrit, Cocteau et moi, d'abord le scénario, et ensuite nous avons réalisé l'oeuvre qui s'est appelée Le Sang d'un poète...

 

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RMSR mars 2009

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