No. 55/2    juin 2002

 

Genèse et création de

Pelléas et Mélisande

par Denis Herlin

 

«Depuis longtemps, je cherchais à faire de la musique pour le théâtre, mais la forme dans laquelle je voulais la faire était si peu habituelle qu'après divers essais j'y avais presque renoncé». Tels sont les propos que Debussy avait consignés par écrit à Georges Ricou, le secrétaire de l'Opéra-Comique en 1902. Avant que Debussy n'entreprenne la composition de Pelléas, il s'était essayé à la mise en musique de différents textes, notamment lors de son séjour à la Villa Médicis en 1885-1886. Ainsi évoque-t-il dans la correspondance qu'il entretient avec Henri Vasnier, une mise en musique du Salammbô de Flaubert auquel il renonce rapidement ou encore une Zuleima d'après un poème de Georges Boyer adapté de l'Almanzor de Heine dont le manuscrit demeure introuvable. Bien que ce fût son premier envoi de Rome, il annonçait déjà à son correspondant le 19 octobre 1885: «Zuleima est morte, et ce n'est certes pas moi qui la ferais ressusciter. Je ne veux plus en entendre parler, n'étant pas du tout le genre de musique que je veux faire, j'en veux une qui soit assez souple, assez heurtée pour s'adapter aux mouvements lyriques de l'âme, aux caprices de la rêverie. Zuleima se souvient trop de Verdi et de Meyerbeer... Pardon!» Ce commentaire démontre que Debussy aspirait déjà à une musique nouvelle qui épouserait les moindres intentions d'un texte. Les nombreuses mélodies qu'il composa durant cette période de jeunesse constituèrent à cet égard un terrain d'expérience pour élaborer, suivant son expression favorite, une «chimie» personnelle.

Maurice Emmanuel, auteur d'un remarquable ouvrage sur Pelléas en 1926, prit en note en 1889 les conversations de Debussy avec Ernest Guiraud qui avait été son professeur au Conservatoire. Le compositeur y affirmait sa conception de l'opéra vis-à-vis du drame wagnérien: «Je [n']imite pas. Autre forme dramatique à mon sens: musique où finit la parole. Musique pour inexprimable. Elle doit sortir de l'ombre. Etre discrète».

A la question de Guiraud, «mais alors où est votre poète?», Debussy répond:

«Celui des choses dites à demi. Deux rêves associés: voilà l'idéal. Pas de pays, ni de date. Pas de scène à faire. Aucune pression sur le musicien qui parachève. Musique prédomine insolemment au théâtre lyrique. On chante trop. Habillage musical trop lourd. Chanter quand ça vaut la peine. Camaïeu. Grisaille. Pas de développements musicaux pour «développer». Fautes! Un développement prolongé ne colle pas, ne peut pas coller avec les mots. Je rêve poèmes courts: scènes mobiles. Me f... des 3 unités! Scènes diverses par lieux et caractère; personnages ne discutant pas; subissant vie, sort, etc.»

Texte prémonitoire au point que, lors de la publication de ces entretiens, d'aucuns crurent à une mystification. C'est ignorer que Debussy, qui fréquentait les cafés, lieu de rencontre des artistes et des écrivains de l'époque, lisait tout ce qui paraissait comme littérature d'avant-garde et fréquentait les milieux symbolistes qui élaboraient de nouvelles théories esthétiques.
Cependant pour des raisons vraisemblablement financières, Debussy accepta en avril 1890 de mettre en musique un livret inspiré du Cid dû à l'écrivain, poète et critique, Catulle Mendès. Du texte que ce dernier avait dans ses dossiers depuis 1875, on ne peut trouver rien de plus opposé aux souhaits de Debussy qui, néanmoins, s'astreignit à la tâche et composa trois actes. Si certaines pages annoncent Pelléas, d'autres, en raison des contraintes du texte, l'empêchent de réaliser ses rêves esthétiques. En août 1893, au moment même où il commença à entreprendre la composition de Pelléas, il fit entendre au piano son Rodrigue et Chimène à Paul Dukas qui raconta, quelques semaines plus tard, ses impressions à Vincent d'Indy:

«Il m'a joué également son opéra qui ne doit pas non plus être loin de sa fin: vous serez très surpris je crois de l'ampleur dramatique de certaines scènes: j'étais loin de m'attendre à cela. C'est d'ailleurs parfaitement naturel. Ajoutez que toutes les scènes épisodiques sont exquises et d'une finesse harmonique qui rappelle ses premières mélodies. L'ouvrage a donc tout ce qu'il faut pour tomber! Souhaitons qu'il réussisse! Le poème est d'ailleurs parfaitement nul comme intérêt. Bric-à-brac parnassien et barbarie espagnole panachés. J'ignore si vous savez que c'est un Cid de Mendès.»

L'ouvrage est abandonné définitivement en septembre 1893 au grand dam de Catulle Mendès qui s'en souviendra, lorsqu'il écrira un compte rendu pour Le Journal, le 1er mai 1902, à l'issue de la première de Pelléas; il lui reprochera d'avoir «été beaucoup trop docile au texte du poème, -- jusqu'à reproduire, par les notes, sans l'interprétation mélodique, qui est indispensable l'accentuation même, l'accentuation seule du mot parlé».

Avant de s'enthousiasmer pour le texte de Pelléas, Debussy avait déjà projeté d'écrire un opéra d'après l'une des premières oeuvres théâtrales de Maeterlinck, La Princesse Maleine. Il avait pu lire cette pièce dans la revue La Société nouvelle qui l'avait publiée en trois livraisons, de décembre 1889 à février 1890; mais il délaissa rapidement le projet, Maeterlinck ayant autorisé Vincent d'Indy à mettre en musique La Princesse, projet qu'il ne réalisa pas. Peut-être faut-il se réjouir que Debussy n'ait pas eu l'accord de Maeterlinck, car le texte de La Princesse, qui offre de nombreuses similitudes avec Pelléas, est plus faible du point de vue dramatique...

 

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