No. 75/2    juin 2022

 

Edouard Ravel (1847-1920)


Par Vincent Arlettaz

Edouard Ravel 1916

Fig. 1: Edouard Ravel, dernier autoportrait. Dessin, 1916.

 

Par sa mère, Marie Delouart (1840-1917), Maurice Ravel était d'ascendance basque -- et comme on le sait bien, c'est sur cette partie de son arbre généalogique que le compositeur a surtout insisté: elle lui permettait en effet d'établir un lien (bien qu'indirect) avec l'Espagne qui, outre qu'elle fut une des nations étrangères les plus à la mode dans la France de son époque, occupe une place exceptionnelle dans sa propre imagination créatrice (que l'on songe au Boléro, à L'Alborada del gracioso ou à la Rapsodie espagnole). La Suisse, elle, avait été importante plus tôt dans l'histoire culturelle européenne, et surtout dans le domaine littéraire. C'est ainsi que les origines genevoises de notre compositeur ne furent pas réellement mises en valeur de son vivant -- bien que Stravinsky ait forgé l'expression «l'horloger suisse» pour le désigner. Il en est malheureusement de même jusqu'aujourd'hui; pourtant, par son père, Pierre-Joseph Ravel (1832-1908), natif de Versoix, Maurice Ravel a eu des attaches familiales très importantes dans notre pays. Celles-ci sont incarnées surtout par la figure de son oncle, Edouard Ravel (1847-1920), artiste peintre qui développa toute sa carrière à Genève, où il étudia, puis enseigna pendant plusieurs décennies, avant de léguer à son neveu compositeur un bel héritage, permettant à ce dernier d'acquérir sa fameuse maison de Montfort-l'Amaury, dans les Yvelines.

Récemment, la personnalité longtemps négligée d'Edouard Ravel a refait surface: en 2014, une exposition lui était consacrée à Morges -- la première depuis 1928. Trois ans plus tard, Philippe Junod, professeur d'histoire de l'art à l'Université de Lausanne, lui consacrait une étude (la première également depuis 1928), parue d'abord en 2017 dans les Cahiers Maurice Ravel puis reprise -- sous une forme un peu différente -- en une monographie publiée par les éditions Infolio en 2020. Ce mouvement de redécouverte, somme toute très récent, aura connu ce printemps un point fort, avec l'organisation d'une nouvelle exposition, cette fois-ci à Versoix même, dans le cadre de la galerie «Boléro», du 29 janvier au 1er mai 2022. Une soixantaine d'œuvres y étaient proposées au public, permettant de découvrir enfin un artiste qui, jusque-là, était resté essentiellement une figure de l'ombre, presque invisible notamment dans nos musées cantonaux -- et, empressons-nous de le dire, de manière tout à fait injustifiée. L'occasion est donc parfaite pour tenter de combler une lacune dans la biographie d'un des plus grands compositeurs du XXe siècle, et pour évoquer, au-delà du cas même de l'oncle, l'importance considérable de l'environnement familial pour la sociabilité et la créativité de notre musicien.

 

L'oublié

Le centre culturel «Boléro», installé dans un immeuble récent, fait face à la gare de Versoix, à quelques centaines de mètres au nord du petit village où naquit en 1847 le peintre Edouard Ravel. Au milieu du XIXe siècle, la physionomie de cette bourgade, entièrement tournée vers son modeste port, devait être bien différente de ce qu'elle est devenue aujourd'hui: quelques rues et un quai, au bout duquel un petit jardin abrite l'élégante mairie à un seul étage. En 1832 naît ici Pierre-Joseph, père du compositeur; et en 1847, son cadet Edouard, qui malgré l'importance décisive du legs qu'il fit à son neveu, 73 ans plus tard, n'est que rarement cité dans les études consacrées à ce dernier. Le moins blâmable en ce domaine est sans doute Marcel Marnat, auteur d'une des biographies les plus détaillées de Maurice Ravel, qui cite à plusieurs reprises «l'oncle Edouard»: nous allons revenir plus tard sur l'apport de cet ouvrage. Theo Hirsbrunner, dans sa monographie en langue allemande parue en 2014, est plus expéditif, se contenant de mentionner, sans commentaire, le portrait de la mère de Maurice peint par l'oncle Edouard, et aujourd'hui conservé dans la maison-musée de Montfort-l'Amaury (fig. 3). Etienne Rousseau-Plotto, développant essentiellement les liens avec le pays basque, reproduit ce même portrait, qu'il qualifie de «splendide», et qu'il estime probablement embelli, du moins si l'on se base sur une des rares photographies contemporaines, qui nous montre une Marie Delouart bien plus imposante et moins souriante. Lorsqu'il évoque l'acquisition de la maison de Montfort-l'Amaury, Sylvain Ledda mentionne laconiquement «l'héritage d'un oncle paternel», sans aucune autre sorte de détail. Enfin, plusieurs autres biographes -- mais un tel examen ne se prétend bien sûr pas exhaustif -- ne mentionnent ni le legs, ni son auteur, quand bien même une partie non insignifiante d'entre elles reproduit un ou plusieurs portraits de famille dus au pinceau de l'oncle Edouard: celui de Maurice enfant (fig. 2) ou celui de sa mère (fig. 3) le plus souvent.

Ne serait-ce qu'en raison du rôle qu'il joua pour assurer l'indépendance financière du compositeur (et donc sa liberté créatrice), Edouard Ravel mériterait qu'on s'attarde un peu plus sur sa personne. Mais ce n'est assurément pas tout: les expositions et publications récentes ont montré l'indéniable intérêt de son travail personnel, en particulier pour ses œuvres inspirées au contact de la nature. Les illustrations du présent article suffiront à donner, nous le pensons, la pleine justification d'une telle affirmation. Et même si Edouard Ravel, au contraire de son neveu, ne saurait figurer au nombre très restreint des novateurs qui ont changé les destinées de leur art, son apport, qui n'est pas mineur, représente un patrimoine artistique romand qu'il s'agit aujourd'hui de se réapproprier...

 

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RMSR juin 2022

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