No. 70/4    décembre 2017

 

Les Hautes Ecoles de Musique romandes

dans la tourmente

Par Vincent Arlettaz


Créées en 2008, les Hautes Ecoles de Musique (HEM) romandes ont produit depuis lors d'excellents artistes, dont l'insertion professionnelle est réjouissante. Répondant à une demande expresse des autorités de tutelle, elles ont également développé de manière très importante leur visibilité; rien ne nous préparait toutefois à les voir livrer aux passions chaotiques de la presse à grand tirage. En octobre 2017, la «gouvernance» de l'HEMU (Lausanne) était d'abord visée, avant que ne soit annoncée, fin novembre, la décision de la fermeture de la HEM de Neuchâtel, qui focalise maintenant toutes les attentions. Au total, on n'a sans doute jamais autant parlé de ces écoles depuis leur création; quant à les connaître, c'est évidemment une tout autre histoire... Le déficit de compréhension s'étend hélas jusqu'à certaines de nos plus hautes autorités; une mise à plat générale nous a semblé urgente.
 

Tout commencele 20 octobre 2017, par une manchette du principal quotidien vaudois, le 24 Heures, qui lance la première bombe: la Haute Ecole de Musique de Lausanne (HEMU) serait en crise, un audit viserait sa direction générale. L'article, en pages 1, 2 et 3 (on rappellera en passant que la musique classique n'a pour ainsi dire jamais droit à la «une» de nos quotidiens), dresse un constat accablant, faisant état de témoignages d'anciens collaborateurs dénonçant une «ambiance malsaine» et des méthodes «dictatoriales» de la part du directeur général, Hervé Klopfenstein, qui est la véritable cible de l'attaque. Reflétant un malaise peut-être réel, mais ignorant le contexte global qui a vu, pendant des années, les autorités de tutelle fixer à l'institution des objectifs très précis en termes de performance et de rayonnement, ce texte explosif ouvre une période de crise sans précédent au sein de l'institution, jusqu'à provoquer la démission du principal intéressé: le 21 décembre 2017, Hervé Klopfenstein, à la tête de l'HEMU depuis 2010, annonce sa décision de ne pas solliciter le renouvellement de son mandat, dont l'échéance est au 31 décembre 2018. On peut et doit lui rendre un hommage appuyé, en relevant tout ce que le développement de l'école doit à son incroyable force de travail, dans une période-clé de son existence qui l'a vue passer d'un statut plutôt local (l'HEMU est l'héritière des classes professionnelles du Conservatoire de Lausanne) à celui d'une institution de plus en plus reconnue au niveau international, et même de taille à faire contrepoids désormais à la Haute Ecole de Musique de Genève, qui disposait pour sa part jusque-là d'un prestige supérieur.

Dans son message aux collaborateurs et à la presse du 21 décembre 2017, Hervé Klopfenstein reconnaît le caractère perfectible de ses méthodes, qui ont pu être mal comprises, mais relève aussi avec fierté l'importance des réalisations: rappelons que l'école se développe désormais sur quatre sites et trois cantons (Vaud, Valais, Fribourg), avec de nouveaux locaux et une salle de concert dédiée dans le quartier du Flon. Quant à son départ, il ouvre une nouvelle phase à laquelle il appartiendra de tirer tout le potentiel d'une institution magnifique, qui n'a plus grand-chose à voir avec ce qu'était Lausanne sur la carte des conservatoires professionnels il n'y a encore qu'une dizaine d'années. Les choses seront certainement beaucoup plus compliquées du côté de Neuchâtel, où a explosé la deuxième bombe, le jeudi 30 novembre: convoqués la veille par courriel, quelques dizaines d'enseignants -- pour la plupart des artistes de renom -- se sont vus annoncer à brûle-pourpoint la résiliation de leurs contrats et la fermeture de l'école, avec effet pour ainsi dire immédiat: si les tout derniers diplômes sont prévus pour 2021, les admissions seraient en effet immédiatement gelées, signifiant la mort, à l'horizon de quelques mois, d'un projet dans lequel ils ont investi le meilleur de leurs énergies pendant près de dix ans. Porteuse de la nouvelle, la Conseillère d'Etat en charge de la formation, Mme Monika Maire-Hefti (Parti Socialiste) n'en restait pas là puisque, non contente de licencier en bloc quelque cinquante musiciens reconnus, elle s'offrait moins d'une semaine plus tard le luxe incompréhensible de les traiter de «nantis»; et le même jour, sur les ondes de la radio romande (émission Forum, La Première), elle allait jusqu'à affirmer que le Canton de Neuchâtel faisait désormais face à un choix simple: assainir ses finances ou avoir une Haute Ecole de Musique! Dans la foulée, d'autres déclarations à l'emporte-pièce déferlaient sur la place publique, dans ce qui se mettait furieusement à ressembler à une sorte de lynchage: ainsi, les professeurs de la HEM de Neuchâtel seraient au nombre d'une cinquantaine pour cent étudiants seulement; la plupart d'entre eux ne payeraient pas d'impôts dans le canton, et il n'y aurait de surcroît que deux élèves neuchâtelois en ce moment...

 

Quelques chiffres, désolé...

Qu'ont donc fait de paisibles artistes pour mériter un tel acharnement? La Conseillère d'Etat ayant fréquemment invoqué la «vérité des chiffres» dans ses interventions, on ne pourra pas éviter de descendre la rejoindre sur son terrain, même si l'essentiel, bien sûr, est ailleurs; je m'en voudrais toutefois d'abuser de la patience du lecteur, et m'efforcerai de m'en tenir à l'essentiel.

Pour commencer, bien que le Conseil d'Etat de Neuchâtel soit la seule autorité que l'on entende en ce moment sur le sujet, il n'est que justice de rappeler que la HEM de Neuchâtel -- qui est en fait formellement l'antenne neuchâteloise de la HEM de Genève -- est plus une école fédérale qu'une école cantonale: des 4,7 millions de francs de son budget, 2,5 millions viennent en effet de Berne. Cette somme, issue de l'impôt fédéral direct et de la TVA (payés par tous les citoyens suisses), est investie dans le Canton de Neuchâtel, et représente donc un apport important à sa vie culturelle -- et même économique; cette manne s'envolerait évidemment en fumée si le démantèlement de la HEM était mis à exécution. D'autre part, les 2,2 millions d'économies annoncés par le Conseil d'Etat (un peu rapidement, nous y reviendrons) représentent un pour mille du train de vie du canton -- de quelque 2 milliards -- et ne seront en toute hypothèse pas d'un grand secours pour rétablir l'équilibre; dans ces conditions, la mesure semble davantage symbolique qu'autre chose, et est peut-être tout simplement destinée à montrer à tous la détermination d'un gouvernement dont la situation actuelle est plus que délicate. On rappellera par exemple qu'au printemps 2017, le peuple neuchâtelois refusait par référendum une fusion hospitalière, et décidait du maintien de deux hôpitaux complets et indépendants à Neuchâtel et à La Chaux-de-Fonds, villes distantes l'une de l'autre de 25 kilomètres seulement. Les surcoûts engendrés par un système de santé otage des rivalités entre Haut et Bas du canton sont bien sûr d'un ordre de grandeur tout autre qu'une Haute Ecole de Musique fonctionnant avec dix-huit équivalents plein temps (administration et direction incluses); mais de tout cela, évidemment, il n'a pas été soufflé mot dans les débats houleux des dernières semaines...

 

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RMSR décembre 2017

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