Réponses aux critiques
Première partie
Deuxième partie> Troisième partie
Alain Naigeon
Site internet personnelhttp://anaigeon.free.fr/biblio.html
Passionné de musique ancienne, Alain Naigeon a publié sur son site personnel des notes de lecture de différents ouvrages, parmi lesquels le «Musica ficta» dans lequel il voit «un livre fondamental, qui pourrait bien devenir la bible en ce domaine».
1. «Ficta» ne signifie pas «implicite»
Quelques observations critiques d'Alain Naigeon méritent l'attention. Il regrette la «définition un peu sommaire et trompeuse» que je donne de la musica ficta dans mon introduction (et en quatrième page de couverture), «en ce qu'elle l'identifie avec la pratique d'altérations sous-entendues». Je ne crois pas qu'il y ait malentendu à ce niveau-là, puisque je lis dans ce quatrième de couverture: «Dans la terminologie musicale du Bas Moyen Age et de la Renaissance, l’expression musica ficta désigne les altérations chromatiques accidentelles (dièses et bémols), par opposition aux notes naturelles, appelées musica recta. Dans de nombreux cas, ces altérations ne sont pas spécifiées par le compositeur [...]». Il est vrai que le terme «accidentelles», trop spécifique, est ici intempestif. Mais la distinction est clairement faite entre la chose elle-même (le système altéré) et son emploi implicite. L'introduction (p. 11) précise quant à elle (ce que le quatrième de couverture ne pouvait faire, par manque de place) que le si bémol (b fa b mi) est un cas particulier, appartenant au système normal (recta) et non pas aux altérations (ficta).
2. Les raisons de l'évolution vers la conception explicite
Alain Naigeon s'intéresse aussi plus en détail aux raisons qui ont poussé finalement à adopter la conception explicite des accidents dans le courant du XVIe siècle. Il doute que les difficultés rencontrées par les débutants en soient la cause véritable, et y voit plutôt un changement dans le statut même des altérations, qui, d'éléments obligés d'un système, deviennent des éléments expressifs librement choisis, que le compositeur peut aussi décider de ne pas appliquer; d'où la nécessité de les indiquer à chaque fois explicitement. Je n'irai pas aussi loin; à mon sens, les nouvelles possibilités chromatiques (apparues dès 1550 environ) s'ajoutent aux anciennes, mais sans les remettre véritablement en cause; notées ou non, les sensibles restent bel et bien des éléments réguliers du système. Je ne crois donc pas que le changement de statut des altérations soit aussi radical que le suggère M. Naigeon. En revanche, je pense que ce dernier a raison de souligner que les débutants ne sont de loin pas seuls en cause: Vicentino parle très exactement des «erreurs des chanteurs» en général. Evidemment, le langage musical s'étant considérablement complexifié dès 1550, les règles issues de l'ancienne pratique n'étaient plus suffisantes, et les sous-entendus qu'elles permettaient n'étaient plus opérationnels. Je pense que c'est là une raison essentielle du passage à la conception explicite. Mais ce n'est sans doute pas la seule; car les dièses explicites tendent à réapparaître en Italie dès 1530, alors que le style chromatique nouveau ne se manifeste guère avant 1550 environ. Dès lors, peut-être faut-il encore chercher du côté de la pédagogie musicale, du recrutement et de la formation des chanteurs, qui n'étaient peut-être plus adaptés aux exigences de la conception traditionnelle (implicite) des altérations.
Michel Bignens
(communication personnelle)
Organiste à Vevey, Michel Bignens a attiré mon attention sur des fac-similés de plusieurs sources instrumentales espagnoles et allemandes du XVIe siècle.
1. Alonso Mudarra
Ainsi, une exception apparente au principe d'attractivité que je citais chez Mudarra (1546, voir ex. 213, p. 321) ne résulte en fait que d'une lecture trop stricte de l'édition moderne; toutes les sensibles figurent bien dans l'original. Cette exception, que je considérais comme isolée et non représentative, est donc à éliminer purement et simplement, ce qui renforce les conclusions du chapitre. Il en est de même pour la rarissime fausse relation trouvée chez le même Mudarra (ex. 216, p. 322), et qui procède (comme je l'avais supposé) d'une erreur de transcription de l'éditeur moderne (le fac-similé de la tablature de Mudarra a été publié par les Editions Chanterelle, Monaco, 1980; voir les pages 68 et 49 respectivement).
2. Arnolt Schlick et Sebastian Virdung
Michel Bignens attire également mon attention sur le premier exemple imprimé de tablature allemande d'orgue, publié par Arnolt Schlick en 1512 («Tabulaturen etlicher Lobgesang»). Cet aspect de la question mérite assurément d'être examiné en détail, et mis en complément de mes considérations analytiques sur les tablatures allemandes du début du XVIe siècle. Le cas de Virdung devra également être détaillé, d'autant plus que cet auteur s'est opposé à Schlick sur la question précise de la musica ficta. Cet aspect sera traité dans un proche avenir, et la présente page mise à jour dès que possible.
© Vincent Arlettaz
- page mise à jour le 28 décembre 2002 -