No. 77/2   juin 2024

 

Editorial

Sous le regard du sphinx

Par Vincent Arlettaz

Sphinx, Grèce, c. 530 BC; New York, Metropolitan Museum

 

Le Sphinx, fameuse créature de la mythologie antique combinant le corps d'un lion, les ailes d'un aigle et la tête (le plus souvent) d'un humain, fut un être bienveillant pour les Egyptiens, maléfique au contraire pour les Grecs: gardant la route de Thèbes, la funeste chimère avait pour habitude de dévorer ceux parmi les voyageurs qui se montraient incapables de résoudre ses énigmes -- jusqu'à sa défaite finale face à Œdipe, qui put libérer la ville. Au sens figuré, un «sphinx» désigne donc un mystère (en général, une personne, mais parfois aussi une chose) défiant toute compréhension. C'est ce terme même que Franz Liszt, aux dires d'Alfred Brendel*, aurait appliqué à un morceau particulièrement hermétique de Beethoven, la XXe des Variations Diabelli (voir ci-dessous, page 53). On pourrait, sans sortir de l'acceptable je crois, reprendre la même expression pour qualifier le maître de Bonn lui-même: car à côté d'oeuvres qui ont su trouver sans la moindre peine le chemin du coeur des mélomanes, comme la Sonate au clair de Lune ou la Septième Symphonie, l'auteur de Fidelio nous a aussi légué de sibyllins monuments, tels ses derniers quatuors ou sa Missa Solemnis, dont le sens profond, de manière probable, échappe encore à beaucoup d'entre nous.

D'innombrables tentatives ont été faites pour démêler cet écheveau; la plupart se sont orientées vers des questions de philosophie, d'histoire, de politique, de psychologie, voire de médecine. Celle qui est présentée ici (p. 28) plonge dans la technique même de l'écriture musicale, pour découvrir que cet aspect, de manière tout aussi incompréhensible, est resté à ce jour très négligé.

Peu de compositeurs, indéniablement, ont connu dans leur vie une évolution d'une portée égale à celle de Beethoven: ce n'est du moins pas le cas d'un Josquin, d'un Bach, d'un Verdi ou d'un Ravel, ni même d'un Mozart; Leonel Power, Claudio Monteverdi et Igor Stravinsky ont certes plus d'analogies avec le maître de Bonn, mais même chez eux, l'amplitude pourrait bien être moindre; seuls, peut-être, Richard Wagner et Arnold Schönberg mériteraient de lui être comparés. Dans tous les cas, l'auteur de l'Eroica occupe une position centrale, au coeur de la période qui devait déterminer la voie où s'est engagée la civilisation européenne. Et tel le Sphinx nous toisant du haut de son rocher, l'immortel génie est un gardien jaloux de son secret.

Vincent Arlettaz

 

* Alfred Brendel: Über Musik, Piper, 2005, p. 159.

 

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RMSR juin 2024

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