No. 71/3    septembre 2018

 

Musique et peinture (II)

Par Vincent Arlettaz

Rembrandt

Rembrandt van Rijn (1606-1669): David jouant de la harpe pour calmer Saül (vers 1655-60). La Haye, Mauritshuis.

 

Sans doute est-il étrange que Rembrandt, un des artistes les plus universels de son temps, n'ait jamais quitté son pays, les Provinces-Unies. Né à Leyde, il y fut d'abord formé pendant trois ans, dans l'atelier d'un peintre d'histoire; mais c'est à la faveur d'un séjour de six mois à Amsterdam, l'année de ses dix-huit ans, qu'il découvrit les dernières innovations de la peinture baroque, notamment italienne. Célèbre de son vivant, mais en permanence en proie aux difficultés financières, il nous a laissé un témoignage émouvant de ses épreuves dans une série exceptionnelle de cent autoportraits qu'il peignit jusqu'en 1669, l'année de sa disparition. Le reste de sa production consiste essentiellement en scènes bibliques et en portraits, ce qui explique qu'on n'y voie presque jamais apparaître de musiciens. A cette règle, il existe bien sûr une exception: celle du roi David, que Rembrandt, au moins deux fois, a représenté la harpe à la main.

Selon le Livre de Samuel, le jeune berger David fut repéré pour son talent poétique et musical, et les mélodies qu'il avait l'habitude d'improviser pour ses troupeaux furent mobilisées pour soigner les accès de dépression du vieux roi Saül. Mais les succès de David tendirent à éclipser le prestige (notamment militaire) de son souverain, ce qui provoqua ce dernier à de véritables tentatives d'assassinat. Heureusement, la lance de Saül resta inopérante ; et ce qui devait advenir advint finalement: David succéda au despote discrédité, et fut un excellent roi -- qui plus est, un roi musicien, auteur d'une partie au moins des 150 psaumes qui nous furent transmis sous son nom. Rembrandt choisit ici de représenter les deux personnages dans une opposition dramatisée à l'extrême des types psychologiques: Saül, ravagé par son délire paranoïaque, cache ses yeux hagards, autant qu'il essuie ses larmes, dans un pan de tenture. Inconscient du danger, David prélude, et semble ne s'intéresser qu'à ce que ses doigts trouvent. Sa physionomie, étonnamment quelconque pour être celle d'un prince si souvent idéalisé, s'efface totalement devant la virtuosité de ses mains, impressionnantes à défaut d'être véritablement élégantes. Ce saisissant tableau fut très malmené par l'histoire: scindé en deux au XIXe siècle, il fut par la suite à nouveau réuni, non sans provoquer un zèle interventionniste coupable de la part du restaurateur. Souvent malaimé, finalement même «désattribué» en 1969 par Horst Gerson, il a retrouvé aujourd'hui la place qu'il mérite au sein de l'oeuvre du maître; son atmosphère tourmentée est caractéristique de la période de pleine maturité de Rembrandt, largement influencée par le dramatisme du chiaroscuro mis à la mode, cinquante ans plus tôt, par le Caravage.

 

Ildikó Ember: La musique dans la peinture, Budapest, Corvina Kiadó, 1984, N° 44.

 

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RMSR septembre 2018

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