Aloÿs Fornerod (1890-1965) © De Jongh. BCUL, Fonds Fornerod
Compositeur, musicographe, critique, le Vaudois Aloÿs Fornerod laisse une oeuvre musicale abondante, ainsi que plusieurs volumes de réflexions sur notre art, parus dans une période troublée de l'Histoire. Son témoignage éclaire d'une lumière particulièrement instructive la question délicate de l'identité musicale romande, et pourra suggérer des pistes intéressantes pour nos musiciens actuels. Le présent dossier est le fruit d'un projet de recherche réalisé dans le cadre de la Haute Ecole de Musique Vaud Valais Fribourg (HEMU), avec le soutien de la Haute Ecole Spécialisée de Suisse Occidentale (HES-SO). Deux premiers articles sont publiés dans le présent numéro; un troisième article, consacré à Fornerod historien et critique, suivra dans une prochaine édition de la Revue Musicale.
I Aloÿs Fornerod: un portrait artistique Par Antonin Scherrer Né le 16 novembre 1890 à la cure de Montet-Cudrefin dans le district d'Avenches, Aloÿs Fornerod est issu d'une ancienne famille vaudoise. Comme beaucoup de musiciens de ce canton, il est fils de pasteur. Ses racines sont profondes et terriennes, mais également ouvertes sur le monde des idées et leur «discussion»: à côté de son ministère, son père est professeur extraordinaire de théologie à l'Université de Lausanne. Sa mère, née Mathilde Dupertuis, donne le jour à un fils et deux filles après lui. La famille s'établit au bord du Léman lorsque le pasteur Fornerod est appelé à Lausanne, puis habite la cure de Pully lorsque celui-ci reprend le poste paroissial de cette localité. Le jeune Aloÿs, largement autodidacte, oriente sa formation générale vers les humanités classiques gréco-latines. Il étudie le violon et la théorie au Conservatoire de Lausanne, avant de partir élargir son horizon à Paris (1909-1911) puis à Strasbourg (1912-1913), sentant l'appel de plus en plus pressant de la musique. Ces années de formation le mettent en contact très tôt avec les deux grands courants esthétiques qui s'affrontent alors en terre vaudoise: l'influence allemande d'une part, à travers son professeur de violon Max Frommelt (exemple type de ces «Musikanten» qui ont fait les premiers orchestres et institutions musicales de ce coin de pays, à commencer par le Conservatoire de Lausanne fondé par le Zurichois Gustave-Adolphe Koëlla) et son professeur d'harmonie Alexandre Denéréaz (formé à Dresde chez Felix Draeseke, et dont il suit l'enseignement au Conservatoire de Lausanne), puis à travers ses six mois à Strasbourg où il suit les cours d'orchestration de Hans Pfitzner; et d'autre part l'influence française, qui chez lui l'emportera haut la main. Celle-ci s'incarne dans les professeurs de la Schola Cantorum de Paris, qu'il fréquente durant deux ans. Le directeur et fondateur Vincent d'Indy fait forte impression sur son jeune esprit, de même qu'Auguste Sérieyx, professeur de contrepoint et bras droit du maître, qui s'installera par la suite à Veytaux où Fornerod continuera à aller le trouver -- il sera son parrain lors de sa conversion au catholicisme en 1926.
Schola Cantorum: le retour aux sources La Schola Cantorum vient d'ouvrir ses portes à la fin du XIXe siècle, sous l'impulsion de Vincent d'Indy, Alexandre Guilmant et Charles Bordes, fondateur lui-même d'une Société pour la renaissance de la musique palestrinienne et la diffusion du chant grégorien (tel qu'il venait d'être restauré par les Bénédictins). L'une des raisons d'être de l'école est d'élargir le cercle des «convertis» à cette nouvelle approche de la musique, et les adeptes ne tardent pas à affluer: parmi les premiers inscrits figurent Albert Roussel, Déodat de Séverac et Erik Satie. A l'instar d'Aloÿs Fornerod, de nombreux Suisses font le voyage et en reviennent profondément marqués: ils s'appellent Henri Gagnebin, Carlo Boller, Fritz Bach, Emile de Ribaupierre... Installée dans les murs d'un ancien couvent de Bénédictins anglais, l'école de la rue Saint-Jacques incarne un idéal à la fois artistique -- fondé sur un retour aux sources de la grande tradition française du Moyen Age et de la Renaissance -- et pédagogique, marqué par une émulation très forte dans le rapport entre le magister et le discipulus, et dans le partage du savoir au sein même de la congrégation d'élèves. En 1959, dans la Gazette de Lausanne, l'ancien élève s'en souvient comme s'il venait de quitter les lieux la veille:
«Motet et Madrigal», ou la polyphonie vocale au XXe siècle Lorsqu'en 1926 Henryk Opienski demande à Aloÿs Fornerod une contribution pour la plaquette retraçant les dix premières années de son ensemble vocal «Motet et Madrigal», pionnier de la redécouverte de ce répertoire en terre vaudoise, le musicien s'inscrit clairement dans la ligne esthétique de la Schola, qui consiste à rechercher dans les fondements de la tradition musicale latine le carburant d'une création contemporaine revivifiée et débarrassée de toute influence exogène:
Vincent d'Indy: ombres et lumières d'un maître S'il vit son année et demie à la Schola Cantorum comme une révélation, Aloÿs Fornerod ne reçoit pas pour autant chacune des paroles de ses maîtres comme une vérité incontestable. Malgré son admiration sans borne pour Vincent d'Indy et sa personnalité tout entière tournée vers l'Autre, malgré également son adhésion totale à l'idée que c'est dans la reconquête de l'héritage médiéval (et par extension classique) que le compositeur latin trouvera son salut -- sa «vérité» --, il n'en demeure pas moins critique vis-à-vis de certains aspects de sa pensée, comme en témoignent ces lignes publiées en 1932 dans Les Echos de Saint-Maurice à la suite de la disparition de d'Indy. Certes, nous n'avons sans doute pas là le Fornerod de 1911, les yeux brillants de l'étudiant encore malléable et incapable d'une telle distance par rapport au maître; mais ce portrait contrasté nous montre par contre que rien -- pas même l'allégeance à une figure tutélaire -- ne saurait le détourner du combat qu'il mène en faveur de la renaissance pleine et entière -- expiatoire, destructrice même s'il le faut! -- de la tradition française, que nous détaillerons dans une partie ultérieure de cette étude. Du refus de l'«internationalisme» à la mise en garde du musicien latin face à la menace des «grands modèles beethovéniens ou wagnériens», pour en arriver à la valorisation du «génie de la race» comme source première d'inspiration: tous les grands thèmes de sa pensée esthétique sont là...
Pour lire la suite... La version gratuite de cet article est limitée aux premiers paragraphes. Vous pouvez commander ce numéro 69/4 (décembre 2016, 64 pages, en couleurs) pour 13 francs suisses + frais de port (pour la Suisse: 2.50 CHF; pour l'Europe: 5 CHF; autres pays: 7 CHF), en nous envoyant vos coordonnées postales à l'adresse suivante (n'oubliez pas de préciser le numéro qui fait l'objet de votre commande):
(Pour plus d'informations, voir notre page «archives».)
Retour au sommaire du No. 69/4 (décembre 2016)
© Revue Musicale de Suisse Romande |
Vous êtes sur le site de la REVUE MUSICALE DE SUISSE ROMANDE
[ Visite guidée ] [ Menu principal ]
(page mise à jour le 24 décembre 2016)