No. 66/2    juin 2013

 

III | L'héritage artistique

Avignon, la Grande Chapelle du Palais Neuf de Clément VI

La Grande chapelle du Palais Neuf de Clément VI

 

L'architecture

Sans doute une grande partie de nos lecteurs sont-ils plus ou moins familiers du cadre architectural du palais avignonnais, et nous nous en voudrions d'en décrire ici trop en détail les qualités. En l'absence très fréquente de décor peint, celles-ci résident essentiellement dans la sobriété et la pureté des lignes. L'aspect extérieur frappe surtout par sa massivité, à peine agrémentée par quelques clochetons (généralement restaurés), créneaux ou autres mâchicoulis; une élégance austère s'en dégage, particulièrement de la partie ancienne, le Palais Vieux de Benoît XII, autrement dit la partie de gauche lorsque l'on contemple la bâtisse depuis la place. Le Palais Neuf de Clément VI (la partie de droite), sans vraiment sacrifier les qualités défensives, saura mettre plus de lumière dans les grandes salles, notamment dans la Grande chapelle, merveille d'harmonie et de pureté, siège des grandes cérémonies festives de ce pontificat brillant entre tous. Mais l'ancienne chapelle de Benoît XII, gravement endommagée par la suite, et aujourd'hui non accessible au public, n'était pas sans charmes non plus. Les grandes salles de travail et de réception, comme le Consistoire, le Grand tinel (restaurés) ou la Grande audience, avec sa colonnade médiane et ses deux rangées d'ogives, représentent également de magnifiques réussites. Enfin, si l'on ne peut pas dire que les appartements du pape, nichés au coeur de deux tours renforcées, ont réellement du charme et de la fantaisie (décor peint mis à part, bien sûr), il reste à citer les délicieuses chapelles de Saint-Jean et de Saint-Martial, qui flanquent respectivement le Consistoire et le Grand tinel.

Ces deux petits sanctuaires, épargnés par les incendies, sont parmi les rares parties du palais à avoir conservé -- pratiquement intactes -- leurs riches fresques. C'est ici le lieu de faire une observation fondamentale: bien que, de par les dimensions imposantes du palais, l'architecture soit sans doute, de tout l'héritage culturel avignonnais, la forme d'art la plus immédiatement appréhendable, il ne faudrait toutefois pas perdre de vue que ce que nous voyons actuellement ne ressemble guère à ce que cette auguste bâtisse fut en son temps -- certains ont même pu comparer son état présent à une sorte de grand squelette. Après le départ définitif des papes, le palais servit de résidence à un «vice-légat» envoyé par Rome, et fut plusieurs fois ravagé par des incendies, notamment en 1413. A la Révolution, il avait été décidé de le détruire, mais ceci ne fut heureusement jamais mis à exécution. Il fut donc converti en caserne militaire, ce qui faillit lui être fatal: au gré des aménagements militaires, d'anciennes portes ou fenêtres furent condamnées; de nouvelles furent percées, sans aucun rapport avec le style gothique; de grandes salles furent scindées en plusieurs étages de cantonnements; de nombreux décors peints ou sculptés disparurent ainsi, détruits ou cachés sous le badigeon gris-vert. Lorsque le bâtiment fut restitué par le Ministère de la Guerre en 1906, il fallut de gros efforts pour le remettre plus ou moins dans l'état originel. L'essentiel de ce travail est aujourd'hui réalisé; malgré cela, ce que nous voyons n'est qu'une ossature monochrome. Tous les témoignages tendent à montrer que le palais du XIV?e siècle était richement orné; par des peintures, au point de susciter une comparaison avec l'église d'Assise; mais aussi par des tapis, tentures, objets d'orfèvrerie et meubles précieux. Une description de ce genre de décor nous a été conservée, non pas pour le Palais des Papes lui-même, mais pour la maison de campagne du cardinal Ceccano (1343); la splendeur des intérieurs évoqués ici nous permet d'imaginer quel fut le luxe régnant dans les salles du palais pontifical -- sans doute au moins égal:

«[...] sa chapelle [...] était ornée de très fines étoffes d'or, de soie, de tentures en laine, de tapis par terre. En somme, dans le sanctuaire tout entier, par terre, autour, en haut, on ne voyait que draps d'or, velours, tapis sur le sol et tentures, le tout à profusion. A côté de l'autel un trône pour le pape était recouvert d'un drap qui lui donnait tout à fait l'apparence d'une masse d'or en forme de siège. L'autel [était] orné de croix, de reliques, d'images d'or, de pierres précieuses, de mitres, d'ornements de devants d'autel, de tant de choses et de tant de merveilles qu'on ne pourrait le croire si on l'avait vu. [...]»

Quelques restes épars de cet art raffiné du textile, de l'ameublement et de l'orfèvrerie sont conservés dans les musées; il faut toutefois provoquer quelque peu notre imagination pour parvenir à nous représenter l'intérieur du palais, où ce genre de décor a dû être omniprésent.

 

La Peinture

Avec la peinture, nous sommes en terrain plus favorable. Certes, ici, les pertes, comme on a déjà eu l'occasion de le signaler, sont très importantes; quantitativement, les vestiges conservés au palais ne sont pas très importants; il n'en va pas de même du point de vue qualitatif. Rappelons que le premier pape établi en Avignon, Jean XXII, employa un peintre toulousain, Pierre Doupuy, notamment pour décorer le palais épiscopal modifié et agrandi pour les besoins de la Curie. S'il ne reste rien de cette première phase, nous sommes mieux pourvus pour le règne du pontife suivant, Benoît XII. Ce dernier employa des peintres pour orner le Palais Vieux qu'il entreprit de bâtir; c'est également sous son pontificat qu'apparaît en Avignon le premier peintre de renommée internationale: une des plus grandes figures de la peinture du XIV?e siècle en Europe, Simone Martini (vers 1284-1344) a été célébré par son ami Pétrarque dans ses sonnets; il est notamment l'auteur du décor peint d'une des chapelles d'Assise (Saint-Martin). En 1335, il quitte la Toscane pour Avignon, où il finit sa vie. Dans la cité des bords du Rhône, il ne reste de lui que des fresques provenant du porche de la cathédrale Notre-Dame des Doms -- elles sont actuellement exposées à l'intérieur du palais, dans la salle du Consistoire (voir fig. 6, p. 46); il s'agit surtout d'une magnifique «Vierge d'humilité» et d'un portrait de donateur. Si le reste de ses fresques semble perdu, quelques tableaux sur panneau de la période avignonnaise ont été conservés; certains y ont décelé une influence de la miniature française, notamment dans une certaine tension dramatique qui n'est pas caractéristique de ses autres oeuvres connues...

 

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RMSR juin 2013

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(page mise à jour le 5 juillet 2013)