No. 66/2    juin 2013

 

Avignon

Musique au Palais des Papes

Par Vincent Arlettaz

Avignon, Palais des Papes: la Chambre du Cerf

Palais des Papes d'Avignon: scènes de chasse.
Fresque de la chambre du cerf.

 

I | La «captivité de Babylone»

 

La papauté avignonnaise est certainement une période injustement négligée dans l'histoire de la musique, et même dans l'histoire des arts et de la culture en général. Les raisons de ce désintérêt semblent multiples: d'une part, le XIVe siècle dans son ensemble -- mais surtout la fin de ce siècle -- est habituellement vu comme une période de transition, sorte d'intermède peu clair entre deux époques exceptionnelles: celle du gothique d'une part, et la Renaissance d'autre part. Sans vraiment forcer le trait, on pourrait être tenté de dire que notre vision actuelle postule une vague de développement continue et remarquable qui, partant du point séminal que représente l'époque carolingienne, aboutit à l'apothéose des cathédrales du XIIIe siècle, aux découvertes picturales de Giotto et des écoles toscanes du Trecento, enfin aux raffinements de l'Ars Nova de Machaut et de Landini. Cette vague se serait finalement brisée au XVe siècle, moment de la redécouverte des modèles antiques dont l'imitation fut désormais érigée en dogme. Dans une telle perspective, la fin du Moyen Age -- la période, justement, autour de 1400, ou peu avant -- ne peut être vue que comme une sorte de voie sans issue. Si l'on ajoute à cela les jugements sévères que les artistes de la Renaissance ont souvent exprimés à l'encontre de l'époque qui les a précédés, on comprendra que le passage d'un monde à l'autre ne pouvait guère être conçu autrement que comme un moment de rupture et de crise. Des événements plus globaux, qui ne sont peut-être que des coïncidences, viendront rapidement conforter cette première approche quelque peu simpliste: car les explications, les excuses même, dira-t-on, ne manquent pas, que ce soit la Grande Peste de 1348, la Guerre de Cent Ans (1337-1453) ou -- justement -- la crise de la Chrétienté représentée par le Grand Schisme d'Occident (1378-1417). Dans tous les cas, la deuxième moitié du XIVe siècle pose problème; on serait même tenté de dire qu'elle gêne!

Les pages qui suivent s'autorisent à demander que l'on réexamine l'ensemble du cas. Commencée à la faveur d'un simple mouvement de curiosité, notre recherche sur la musique avignonnaise débouche en effet au final sur des découvertes dont nous avons lieu de penser qu'elles sont véritablement enthousiasmantes. Dans tous les domaines des arts ou presque, le XIVe siècle provençal livrera de véritables trésors -- parfois en nombre restreint, car beaucoup de monuments ont été irrémédiablement perdus; qualitativement toutefois, le doute ne nous semble guère permis. De ceci, le cas de la peinture surtout pouvait nous prévenir: vues par des millions de personnes, les fresques du Palais des Papes représentent sans doute la partie de l'héritage avignonnais la plus facile à estimer à sa vraie valeur (voir p. 46). Mais la sculpture, l'enluminure et la musique ne sont pas en reste, si l'on fait l'effort d'aller à leur rencontre. Quant à l'architecture, le côté austère du palais dans son état de conservation actuel mérite sans doute une approche un peu plus approfondie; de sorte que, seule, la littérature pourra paraître quelque peu en retrait -- nous reviendrons bien sûr sur tous ces points.

Un autre malentendu semble s'être glissé ici: depuis longtemps, lorsqu'il s'est agi d'aborder cette période, l'attention s'est focalisée sur la personne de ces papes français du XIV?e siècle -- des personnages qui n'avaient certes rien de la sainteté d'un François d'Assise. Leur vie parfois fastueuse, les luttes d'influence et les jeux de pouvoir qui agitaient alors la Curie ont fait passer l'ensemble de ce milieu pour un environnement corrompu, irrespirable même, comparé par Pétrarque à la Babylone du temps de la captivité du Peuple Juif. Certainement fondés, les critiques, les frustrations et les écoeurements du génial poète toscan ne doivent pourtant pas valoir condamnation définitive de tout ce qui peut provenir de l'Avignon du XIVe siècle: après tout, les papes du début du XVIe siècle, un Jules II, un Léon X ou un Clément VII, furent-ils des modèles de vie vertueuse et de spiritualité? Par leurs choix monarchiques et cyniques, matérialisés par les indulgences dont ils firent commerce, entre autres pour financer la construction de la nouvelle Basilique Saint-Pierre, ils devaient ouvrir la voie aux guerres de religion -- un enfer auprès duquel les quarante années du schisme avignonnais paraîtront en vérité bien anodines. Cela nous empêche-t-il d'admirer les fresques de la Sixtine peintes pour eux par Michel-Ange, les tableaux qu'ils commandèrent à Raphaël ou les marbres antiques dont ils ont rempli le Musée du Vatican? Sans la métamorphose qu'elle a connue à la faveur de son séjour provençal, la Papauté n'aurait peut-être jamais adopté les traditions de mécénat artistique qui, pour les siècles ultérieurs, ont fait l'admiration universelle. Sans plus de préjugés donc, voyons un peu de quoi se compose cette fameuse période avignonnaise, et ce qui peut expliquer le rayonnement exceptionnel qu'elle exerça sur l'ensemble de la Chrétienté...

 

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RMSR juin 2013

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(page mise à jour le 5 juillet 2013)