No. 58/4    décembre 2005

 

Le dernier Concerto pour piano
de Johann Nepomuk Hummel (1833)

ou l'impossible renouvellement d'un style

par Alexandre Dratwicki

 

Témoin d'une période charnière de l'histoire de la musique, Johann Nepomuk Hummel (1778-1837) fréquenta trois générations d'artistes, stylistiquement presque antithétiques: élève de Mozart, Salieri, Haydn, Albrechtsberger et Clementi dans les années 1790, il fut l'exact contemporain de John Field (1782-1837) et entretint des relations amicales avec Beethoven, Weber et Schubert. Comme professeur, il transmit son savoir à des personnalités telles que Czerny, Hiller, Henselt ou encore Thalberg. Cette position intermédiaire entre un classicisme tardif et l'émergence de l'imaginaire romantique eut un impact direct sur le style du compositeur, chez qui on distingue sans peine deux «manières» clairement articulées autour des années 1815-1818. S'il fallait caractériser ces deux styles, l'un galant et plutôt conventionnel, l'autre plus sombre, à la fois proche du Sturm und Drang de la fin du XVIIIe siècle et, en même temps, annonciateur du pathos romantique caractéristique des années 1830, l'étude la plus probante devrait porter sur le corpus de concertos pour piano de Hummel. Virtuose de l'instrument, il a laissé huit ouvrages remarquables par les effets novateurs de leur écriture pianistique. Ces concertos ponctuèrent avec une parfaite régularité la vie du compositeur. Ils reflètent bien, en cela, les divers penchants esthétiques de l'artiste et l'évolution de la première à la seconde manière. Tous furent écrits pour des occasions bien particulières, attestant, comme souvent, combien l'oeuvre d'un artiste reste indissociable de réalités sociales prégnantes. Pour s'en convaincre, il suffit de mettre en parallèle leurs dates de composition avec les diverses tournées de concerts que fit Hummel en Europe (tableau 1, page 36).

Au sein de cette production, le dernier concerto pour piano fait figure d'oeuvre isolée, non pas tant à cause de sa situation chronologique (février 1833, soit six ans après le concerto précédent) que par de nombreux paramètres stylistiques en contradiction avec l'orientation esthétique observée précédemment. Celle-ci est pourtant bien perceptible dans les concertos antérieurs en la mineur, si mineur et la bémol majeur. Dans son ouvrage Die Entwicklung des deutschen Klavierkonzertes, Hans Engel écrit à ce propos -- peut-être un peu rapidement -- que «le dernier concerto, en fa majeur, est plus sèchement conventionnel; ses trois mouvements, Allegro moderato 4/4, Larghetto 2/4 en la majeur, Finale Allegro con brio 3/4 en fa majeur, n'offrent rien de remarquable». Aussitôt créée par le compositeur, l'oeuvre disparut effectivement du répertoire après ses premières exécutions, en 1833 et 1834. Mais sa numérotation particulière «opus posthume + 1» renseigne sans doute mieux sur les raisons de son sort: n'ayant pas été éditée du vivant de Hummel, elle ne connut jamais la diffusion, et du même coup, la notoriété, des concertos antérieurs. «Durant les quatre dernières années de sa vie (1833--1837), Hummel conclut peu d'affaires avec ses éditeurs. La musique composée pour son séjour en Angleterre de 1833 -- le concerto en fa majeur et, vraisemblablement, un rondo pour deux pianos -- ne fut imprimée qu'après sa mort.» Pourtant, en dépit d'un moindre retentissement, cet ouvrage occupe une place décisive dans la carrière du compositeur: il représente l'ultime tentative du virtuose pour contrer son déclin progressif dans l'estime du public. A travers ce prisme, il est intéressant d'examiner le Concerto en fa majeur, celui-ci offrant à la fois une image stéréotypée du genre dans les années 1830, et un essai de reconversion stylistique pour un compositeur en mal de modernité. Bien sûr, pour apparaître comme complètement significative, l'oeuvre doit être replacée dans un contexte plus large de l'histoire du concerto pour piano qu'il nous faudra décrire synthétiquement au préalable.

 

1830. Une nouvelle génération de pianistes

Formé à l'école de Mozart, Clementi et Haydn, Hummel apporta une contribution personnelle au pianisme de ses prédécesseurs: il augmenta la sonorité générale de l'instrument, comptant parmi les premiers à écrire pour le piano à six octaves, transforma les motifs d'accompagnement issus de l'ancienne «basse d'Alberti», et donna à l'ornementation une nouvelle impulsion que Chopin ne fera d'abord qu'imiter dix ans plus tard. Toutefois, héritier du détaché «brillant» de Mozart et adepte des pianofortes viennois de la fin du XVIIIe siècle, Hummel restera toute sa vie suspicieux à l'égard de certains types d'écriture et, surtout, de l'emploi systématique de la grande pédale: sa Méthode de piano, publiée en 1828, en préconise un usage très parcimonieux.

Dans le domaine du concerto, Hummel appartient à la même génération que Weber, Beethoven, Cramer, Dussek, Field, Czerny et, comme eux -- Beethoven mis à part -- il s'illustre uniquement dans le genre «brillant», destiné à mettre en valeur le soliste sur un tapis orchestral parfois dense, mais toujours discret...

 

Pour lire la suite...

rmsr

Vous pouvez acheter la version imprimée de ce numéro pour 9.50 CHF (plus participation aux frais de port). Plus d'informations sur notre page «Archives)»

 

Retour au sommaire du No. 58/4 (décembre 2005)

 

© Revue Musicale de Suisse Romande
Reproduction interdite

 

Vous êtes sur le site de la  REVUE  MUSICALE  DE  SUISSE  ROMANDE

[ Visite guidée ]   [ Menu principal ]

(page mise à jour le 14 décembre 2018)