Claude Debussy
et le charme des eaux
par Francesco Spampinato
I. Séduction de l'eau
Retrouver l'unité de l'homme avec le monde, percer le mystère de son environnement pour en rétablir les vibrations profondes, tel est le désir qui irradie la sensibilité de Claude Debussy et le lie à la poétique et à l'esthétique du symbolisme. Peu de musiciens se laissent comme lui séduire par le charme des paysages que prodigue la nature. L'empathie avec le monde et ses éléments lui permet de reproduire même l'enchantement qui se dissimule dans le plus commun des phénomènes. Il se plonge dans le spectacle, à la fois simple et sublime, du vol indolent d'une feuille morte, de la blancheur glacée d'un paysage enneigé, d'un reflet doré froissé par la surface de l'eau ou encore des tourbillons imprégnés des parfums du soir. En faisant de la nature une source première d'inspiration, il veut libérer la musique de toutes contraintes académiques. Alors que la préciosité excessive apparente la musique de cette époque à un art scolastique, le musicien français quant à lui l'identifie à «un art libre, jaillissant, un art de plein air, un art à la mesure des éléments, du vent, du ciel, de la mer».
Il s'agit d'une poétique qui se fonde sur des principes esthétiques des courants symboliste et impressionniste. La nature, riche «forêt de symboles», communique à l'esprit du poète symboliste d'ineffables suggestions, qu'il recueille moins grâce à son intelligence qu'à sa sensibilité. Cette nature offre au peintre impressionniste non pas un tableau fidèle, mais la pure impression de la réalité qui l'entoure, telle qu'elle est saisie matériellement dans la perception en plein air.
L'eau, élément mélancolique mais aussi sensuel et charmeur, évanescent et suggestif, se fraie un chemin dans l'esthétique symboliste. «L'eau est le sujet symboliste par excellence», affirme Michel Imberty, «...on peut dire que toute cette époque possède une vision du monde réfléchie par les images multiformes de l'eau». Les mots deviennent liquides et l'eau devient l'image de l'ambiguïté et de l'ambivalence. Les surfaces lacustres s'approprient des images du monde et renvoient le reflet d'une figure diaphane aux contours flous tandis que le silence stagnant se remplit de non-dits.
Les allusions à l'élément aquatique foisonnent dans les textes des mélodies pour voix et piano que Debussy choisit parmi les poésies d'auteurs symbolistes comme Verlaine, Baudelaire et Mallarmé.
Par ailleurs, les lettres que Debussy échange avec ses amis et collègues témoignent du charme qu'opèrent sur le musicien les phénomènes liés à l'eau. Tantôt, il parle du «soleil baigné par notre bonne mère la mer»; tantôt il évoque La mer, lorsqu'il affirme être «étourdi» par la mer qui daigne dévoiler «toutes ses robes». Bien qu'il ne soit pas devenu marin, il a cependant gardé une passion sincère pour la mer. Mais celle-ci fait parfois preuve de «cruauté», capable de «mentir avec des sourires de femme» et d'exploser dans «des colères de petite fille». Vers la fin de sa vie, il écrit même que c'est la mer qui «berce» sa mélancolie.
Nombreux sont les titres des compositions de Debussy qui renvoient, comme métaphores, à des contenus extramusicaux se rapportant à la nature et à ses spectacles. Si beaucoup de ces titres sont clairement liés à la phénoménologie variée de l'élément aérien, la plupart ont trait à l'imaginaire aquatique: Le jet d'eau, La mer est plus belle, Jardins sous la pluie, Reflets dans l'eau, Poissons d'or, La cathédrale engloutie, Ondine, En bateau, Pour remercier la pluie au matin, Sirènes, La mer, De l'aube à midi sur la mer, Jeux de vagues, Dialogue du vent et de la mer (auxquels s'ajoutent d'autres titres où l'allusion à l'eau est moins directe)...
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